©Ukrainian Team/American Alpine Journal
Première ascension de l’arête sud-est de l’Annapurna III (7 555 m), Annapurna Himal, par la voie « Patience » (2 950 m, 6a A3 M6 80° en glace et 90° en neige) par Nikita Balabanov, Mikail Fomin et Viacheslav Polezhaiko (Ukraine). En seize jours (du 22 octobre au 6 novembre 2021) du camp de base au sommet. La descente par la face ouest en terrain inconnu leur a pris encore trois jours de plus.
Cette première était convoitée depuis longtemps, elle a donc logiquement été applaudie comme l’une des réalisations majeures de ces dernières années en Himalaya. Nikita Balabanov, Mikail Fomin et Viacheslav Polezhaiko ont passé 19 jours sur la montagne, réussissant là où de nombreuses tentatives précédentes (y compris d’ailleurs la leur en 2019) avaient échouées. L’itinéraire emprunté est complexe, extrêmement engagé et ne pouvait à priori être réussi que par une cordée d’un haut niveau technique ainsi que d’une capacité d’endurance et de jugement hors norme en haute altitude ; il se situe de plus dans un secteur notoirement connu pour sa météo plus capricieuse que dans le reste de
l’Himalaya népalais.
Les trois Ukrainiens se sont acclimatés en réalisant l’ascension du sommet voisin de l’Annapurna IV à 7 525 m, en suivant plus ou moins une ligne qui avait déjà précédemment été gravie jusque sur l’arête nord-ouest, mais pas jusqu’au sommet.
Une bonne semaine plus tard, chargés de sacs de 22 à 24 kg avec une douzaine de jours de vivres et de gaz, ils franchissent la rimaye vers 4 600 m, en dessous de l’arête sud-est de l’Annapurna III. Malgré des prévisions excellentes au départ, la météo fût très moyenne pendant tout leur périple. De plus les conditions beaucoup plus sèches que lors de leur précédente tentative rendaient la progression plus difficile et donc aussi plus lente. Vers 6 250 m, ils franchirent en dry-tooling le passage-clef technique, en rocher ; puis vers 6 500 m, ils arrivent au point haut atteint, mais jamais dépassé, par plusieurs cordées précédentes ; là, ils trouvent une arête de neige de 70 m extrêmement effilée, exposée et non protégeable se terminant par un mur abrupt descendant. Cette section constitue le « crux psychologique » ; ils la franchissent grâce à du pelletage prolongé et créatif… À partir de 7 100 m, l’arête sud-est rejoint l’arête sud et le terrain devient beaucoup plus simple jusqu’au sommet ; mais le froid intense combiné au vent fort ralentit leur progression et les oblige à un ultime bivouac à 7 400 m.
Au sommet, le vent trop fort les empêche d’emprunter l’arête est, et redescendre par l’itinéraire de montée serait bien sûr beaucoup trop difficile et dangereux ; ils optent pour la face ouest, inconnue, la descente est un long supplice, mais ils finissent par rejoindre le glacier de l’Annapurna est.
Une telle ascension mérite bien évidemment d’être reconnue, cependant certains aspects ne correspondent pas à la charte des Piolets d’Or.
Charte des Piolets d’Or et usage de l’hélicoptère - considérations éthiques et environnementales
L’arête sud-est de l’Annapurna III s’élève au-dessus du cirque qui se situe en amont de la source du Seti Khola. L’accès à ce cirque a toujours été considéré comme très difficile et dangereux en raison du terrain raide et instable surplombant les gorges du Seti Khola ; après plusieurs éboulements importants, les expéditions de 2007 et 2010 ne purent atteindre le pied de la montagne car l’accès fut considéré comme étant trop dangereux. Par la suite, quatre expéditions, y compris les Ukrainiens en 2019 et 2021, firent toutes usage de l’hélicoptère pour transporter hommes et matériel dans le cirque.
Par ailleurs, après être redescendu du côté opposé de la montagne, les trois Ukrainiens ont fait appel à l’hélicoptère pour être récupérés sur la partie basse du glacier de l’Annapurna est vers 5 000 m (ils avaient demandé à être repris vers 4 500 m). L’un d’eux fût ensuite posé dans le cirque de départ pour récupérer le matériel du camp de base, tous sont arrivés à Kathmandou le soir même.
L’objectif des Piolets d’Or n’est pas seulement de reconnaître les ascensions les plus remarquables de l’année précédente, mais aussi d’utiliser ces ascensions afin de promouvoir une éthique simple et claire de l’alpinisme, en cohérence avec son inscription au patrimoine culturel immatériel en 2019 par l’UNESCO.
La charte des Piolets d’Or stipule que « dans l’alpinisme moderne, la question du style et des moyens utilisés prime sur la réussite d’un objectif ». L’accès à la montagne en tant que tel ne fait pas partie de l’ascension stricto sensu, mais devient toutefois clairement un enjeu éthique et environnemental important. L’esprit des Piolets d’Or suggère que, si un endroit ne peut être atteint par une voie de transport régulier, ou sur le terrain par des moyens « fair play », alors on le laisse aux générations futures.
La charte inclut également un critère de « respect de l’environnement ». Depuis une bonne décennie, l’usage de l’hélicoptère pour l’accès aux sommets himalayens s’est fortement développé, en particulier au Népal où il est peu ou pas réglementé. Payer un hélicoptère privé pour atteindre le camp de base d’un sommet de 8 000 m, ou pour enchaîner plusieurs ascensions est devenu très commun pour ceux qui en ont les ressources financières, ceci dans un pays où traditionnellement l’accès se faisait en trekking avec l’aide de porteurs locaux.
En montagne plus qu’ailleurs, on peut mesurer l’énorme impact du réchauffement climatique. Certes, une partie importante de l’empreinte carbone d’une expédition peut être attribuée aux vols internationaux, mais nous considérons que l’usage privé systématique de l’hélicoptère devient vraiment problématique et il nous appartient en tant qu’alpinistes d’agir de manière responsable et de limiter notre impact.
Les Piolets d’Or souhaitent diffuser un message clair que la haute montagne, ainsi que les populations qui y vivent, sont de plus en plus impactés par le changement climatique ; et qu’en conséquence, nous ne soutenons pas l’usage général de l’hélicoptère pour l’accès aux sommets.
Le jury a considéré que du point de vue de l’alpinisme, la nouvelle voie sur l’Annapurna III est clairement une des réalisations majeures de ces dernières années, mais aussi que certains éléments de la charte n’étaient pas respectés. En considération des ces deux aspects, le jury a décidé de ne pas attribuer un « Piolet d’Or » mais plutôt un « Prix spécial du jury ».