Robert Paragot, titulaire du Piolet d’or Carrière en 2012, nous a quittés le 24 octobre, à 92 ans. Il était l’un des plus brillants alpinistes de son époque.
Il a promené sa célèbre fine moustache et son esprit d’alpiniste amateur sur les sommets du monde. Rien ne semblait le prédestiner à l’alpinisme souvent novateur qu’il a pratiqué. L’Ile-de-France est encore une campagne lorsque Robert y passe son enfance, mais c’est à Paris, où il travaille comme réparateur de machines à écrire, qu’il découvre l’escalade. Au lendemain de la guerre, avec les frères Lesueur, Edmond Denis, jeunes ouvriers comme lui, qui deviendront tous de grands alpinistes, il fréquente les rochers de Fontainebleau, grâce à un camion à gaz de la régie Renault. Ils écument les rochers de ce laboratoire de la grimpe, dans une ambiance potache qui ne les empêche pas d’accumuler les performances…
En 1950, les « Bleausards » débarquent à Chamonix. De courtes vacances au cours desquelles ils font leurs premières armes. Les jeunes parisiens ne doutent de rien et regagnent leur atelier avec la face Nord des Drus en poche…
En 1952, Robert escalade l’éperon Walker, avec les Lesueur et Edmond Denis. De leur bivouac, ils voient des lumières au sommet des Drus. D’autres parisiens bivouaquent là-haut, ils viennent de réussir la première de la face Ouest. Parmi eux, Lucien Bérardini, qui deviendra son inséparable compagnon de cordée. En 1953, ils font ensemble la troisième de la face est du Grand Capucin, ouverte deux ans auparavant par Walter Bonatti. Cette année-là, Robert ouvre la Joker, une voie extraordinaire à Fontainebleau. Elle est cotée aujourd’hui 7a…
Forts de leurs succès alpins, les jeunes parisiens partent pour la face Sud de l’Aconcagua. Le plus haut sommet des Amériques cote à l’époque 7035 m (il est estimé à 6962 m aujourd’hui). Surtout, la paroi est haute de 3000 mètres, et présente des difficultés jamais abordées à une telle altitude et sur une paroi d’une telle ampleur. Ils équipent le premier tiers de la paroi et réalisent qu’à ce rythme, ils n’arriveront jamais au sommet. Malgré les difficultés qui s’annoncent, ils décident de partir du camp 2, situé à 5000 mètres, et de tenter directement le sommet. On ne parle pas encore de « style alpin », mais c’est bien de cela dont il s’agit. 2000 mètres d’escalade difficile, entre 5000 et 7000 m, cela n’a jamais été tenté à cette époque, et cela ne le sera plus avant des années… Le prix du succès est lourd : Adrien Dagory, Pierre Lesueur, Guy Poulet, Lucien Bérardini, Edmond Denis subissent de cruelles amputations, conséquences de graves gelures.
Au retour, la cordée Paragot-Bérardini se reforme, et signe dès l’été 1955 une belle première à la face Nord du Grand Capucin. Robert s’est occupé attentivement de son compagnon, jusqu’au moment symbolique où il passe le matériel à « Lulu » et lui intime de prendre la direction de la cordée.
Pour Robert, l’élan est donné. En 1956, il participe à une expédition novatrice : avec Guido Magnone, André Contamine et Paul Keller, ils partent pour la spectaculaire tour de Mustagh, 7273 m, au Karakoram. L’idée est de tenter à quatre un sommet élevé et technique. Peu importe qu’une forte expédition britannique les "grille" de quelques jours au sommet. Deux belles premières sont réussies dans un style qui annonce l’avenir. Et l’expédition française, solidaire de l’équipe concurrente, s’occupe de l’évacuation de John Hartog, atteint de gelures.
Le Jannu, à 7710 m, demandera plus de moyens. La première tentative, en 1959, échoue non loin du sommet. Robert est de la cordée de pointe, il sera le premier au sommet en 1962. Là encore, il participe à une réalisation novatrice, du fait de la complexité du sommet.
C’est encore un gros morceau auquel s’attaque Robert en 1966, cette fois comme chef d’expédition (ce qui ne l’empêche pas d’aller au sommet). La face Nord du Huascaran (6768 m) est immense, verticale, et surtout rocheuse. Rares sont les itinéraires de ce type gravis à cette époque.
En 1971, Robert dirige sa plus grosse entreprise : le pilier Ouest du Makalu, 8463 m. Le début des années 70 est consacré aux grands itinéraires techniques sur les 8000. Le pilier est sans doute l’un des plus beaux : on l’a surnommé « la Walker de l’Himalaya ». Yannick Seigneur et Bernard Mellet en atteignent le sommet.
Chef d’expéditions nationales, président du Groupe de haute montagne (GHM), Robert, qui continue à grimper avec ses amis, Lucien Bérardini ou Pierre Lesueur, assumera en plus la présidence de la Fédération française de la montagne (FFME). Son charisme, celui de ses amis les rapprochent des jeunes grimpeurs. Au-delà d’un palmarès souvent innovant, Robert a le don de l’amitié et l’amour de l’alpinisme. De nombreux jeunes Français ont choisi la face sud de l’Aconcagua pour faire leurs premiers pas en expédition. Ce n’est pas seulement parce qu’il est plus facile de se rendre dans les Andes que dans l’Himalaya. La proximité de ces grands anciens y est pour beaucoup. Ils ont su tisser avec les générations suivantes des liens profonds, affectueux, des liens qui font la culture et la force de l’alpinisme.
Atteint par la maladie, Robert restera jusqu’au bout attaché à l’alpinisme et se tiendra au courant des performances des jeunes alpinistes, ses héritiers.
Il était à l’aise partout : aux côtés du Président Pompidou quand l’équipe du Makalu est reçue à l’Élysée, à Chamonix où ils collectionne les frasques et les ascensions avec son alter ego « Lulu », sur la scène de Courmayeur quand il reçoit le Piolet d’or Carrière. À cette occasion, il montre sa légendaire simplicité : « Je ne sais pas si je mérite vraiment cette distinction, mais puisqu’elle m’est décernée par mes pairs, je l’accepte bien volontiers ». Élégance, toujours, c’est le souvenir que Robert nous laissera.
Claude Gardien
En savoir plus : 2012 - Robert Paragot