©Piotr Drożdż
Le Géorgien Archil Badriashvili a disparu le 10 août 2024 à l’âge de 34 ans. Il se trouvait avec des compagnons sur le Shkhelda (4 388 m), non loin de l’Ushba, dans ces montagnes du Caucase qu’il connaissait et appréciait tant. Touché par la foudre, il a basculé dans le vide, sans pouvoir être sauvé par les autres membres de la cordée ni par les secours.
Un an et demi auparavant, il se dressait sur la scène à Briançon. Avec ses compatriotes et amis Baqar Gelashvili et Giorgi Tepnadze, il recevait un Piolet d’Or pour leur audacieuse première ascension du sommet nord-ouest du Saraghrar (7 303 m, massif de l’Hindou Kouch, Pakistan) par sa face nord-ouest en septembre 2021.
Ce n’était pas sans fierté ni joie que le trio géorgien appréciait cette reconnaissance, une première pour ce pays enfin posé sur la carte du grand alpinisme. Président du Groupe de Haute-Montagne, Christian Trommsdorff avait alors salué cette réalisation « remplissant tous les critères de la Charte des Piolets d’Or ». Il rejoignait les conclusions du Jury estimant « que le choix d'un haut sommet vierge dans une région peu connue, avec une approche by fair means, une face jamais tentée auparavant, une petite équipe, une longue ascension de neuf jours dans un pur style alpin avec des difficultés techniques importantes au-dessus de 6 200 m, un passage-clé entre 6 750 m et 7 000 m et un haut niveau d'engagement, illustraient bien la Charte des Piolets d'Or. »
Originaire de Tbilissi, Archil Badriashvili était né dans une famille de montagnards et grimpait donc depuis son plus jeune âge: « Mon père était un alpiniste expérimenté et un vrai rebelle puisqu’il a été l’un des rares à faire des activités interdites à l’époque soviétique comme des solos et des ascensions sans autorisation officielle. » Guide à temps partiel, il avait d’abord répété les plus difficiles voies et réalisé des premières ascensions en hiver ou en solo dans des régions reculées du Caucase. Il s'était ensuite concentré sur la recherche en physique et la réalisation d'un rêve, explorer en style alpin les plus hautes montagnes de la planète : première ascension du Larkya Central, 6 425 m, par sa face sud-est, dans la région du Manaslu, en 2017 (déjà avec ses amis du Piolet d’Or), le sommet du Nanga Parbat (8 126 m) en 2019 (deuxième ascension de la variante Sadpara dans la voie Kinshoffer avec Giorgi Tepnadze) puis les Pangpoche I (6 620 m) et II (6 504 m), toujours au Népal en 2019.
Il n’en délaissait pas moins ses montagnes favorites du Caucase. Ainsi, la première hivernale du Shkhara (5 230 m) en 2018. Puis à l’automne 2020, accompagné de Giorgi et de Levan Lashkarashvili, il avait ouvert des nouvelles voies dans la face sud-ouest de l’Ailama (4 547 m) et dans la redoutée face nord-ouest du célèbre Ushba (4 710 m) : « Une fois que vous avez vu en photo ce sommet double, ou lu les histoires et les légendes qui l’entourent, vous vous souviendrez longtemps de cette montagne. Mais ces impressions changent quand vous regardez avec vos propres yeux le granit vertical qui jaillit littéralement de la base au sommet de cette impressionnante montagne. »
Au printemps 2024, Archil avait rejoint la légende Slovène Marko Prezelj (rencontré à l’occasion d’un échange entre alpinistes de leurs deux pays) et le Français Manu Pellissier croisé à Briançon lors de l'édition 2022 des Piolets d'Or. Ils s’étaient envolés pour l’Inde avec pour principal objectif une nouvelle ligne en face sud de la Nanda Devi (7 816 m). S’adaptant aux conditions exceptionnellement chaudes, le trio en était finalement revenu avec la première ascension de la Nanda Shori (6 344 m) et l'ouverture d'un couloir sur le Changush (6 322 m).
Archil sera regretté de toute la communauté alpine à la fois pour ses qualités d’alpiniste mais aussi pour avoir montré que le style alpin extrême n’était pas incompatible avec un côté bon vivant. Comme il l’écrivait après son ascension du Pangpoche II : « Un à un, nous montons sur le sommet, puis nous nous asseyons pendant une heure pour applaudir les montagnes, notre patrie, nos amis et nos familles avec du cognac français. »