Piolets d'Or - Ascensions lauréates 2023

Ascensions lauréates 2023

Le jury international des Piolets d'Or a choisi de décerner trois prix et une
mention spéciale. Il s'agit, dans le désordre, des ascensions suivantes :

Jirishanca (6 094 m), éperon sud-sud-est

© Quentin Roberts

Première ascension de l'éperon sud-sud-est du Jirishanca (Cordillère Huayhuash), par la voie Reino Hongo (1 000 m, M7 AI5+ 90°) du 21 au 23 juillet. Descente par le contrefort est et la face sud-est inférieure.

Il va sans dire que l'engagement et l'aventure sont réels en dehors de l'Himalaya. Cette année, il aurait été impossible pour les Piolets d'Or de ne pas mettre en avant une voie dans la Cordillère des Andes, où plusieurs ascensions exceptionnelles ont été réalisées en 2022. La Cordillère Huayhuash abrite des sommets très spectaculaires, dont le Jirishanca, l'un des plus hauts sommets de la chaîne et dont l'accès n'est pas aisé. C'est l'un des derniers 6 000 péruviens à avoir été gravi.

Les Canadiens Alik Berg et Quentin Roberts ont choisi la ligne convoitée de l'éperon sud-sud-est, qui s'élève en une crête complexe faite d'énormes champignons de neige et de glace avant de rejoindre le calcaire vertical et maculé de glace de la paroi sud. Les tentatives précédentes de plusieurs cordées différentes pour atteindre ce headwall en escaladant la face plus à gauche de l'éperon s'étaient arrêtées dans des conditions de neige impossibles.

Berg et Roberts ont avancé dans le plus pur style alpin, portant des sacs sur des terrains soutenus, techniques et jusqu'alors inexplorés. En raison de fortes chutes de neige sur l'éperon rocheux peu avant le départ, et d'une météo trop maussade, les deux hommes ont décidé de gravir cinq longueurs environ sur l'éperon inférieur, puis de contourner la section plus raide située au-dessus sur le versant sud. Là, ils ont gravi un terrain mixte escarpé pour regagner l'éperon en dessous de la complexe arête de neige et de glace en forme de dos de dragon. Ils ont terminé cette section le premier jour, l'arête elle-même le deuxième jour et le headwall, crux de la voie, le troisième jour. Cette dernière partie comportait des longueurs non protégeables qui étaient parfois aussi difficiles et potentiellement aussi dangereuses pour le second que pour le premier de cordée. Lorsqu'ils ont atteint le sommet – une rare ascension de la montagne par le versant est – ils ont été surpris d'être accueillis par deux Américains qui avaient escaladé une voie sur la droite de la face sud-est. Berg et Roberts ont ensuite pu suivre la descente des Américains sur le contrefort est et dans la partie inférieure de la face sud-est en bivouaquant une fois de plus.

Le jury a estimé qu'il s'agissait d'une ligne inspirante, directe vers le sommet, et escaladée exactement dans le style et l'esprit d'aventure que les Piolets d'Or souhaitent promouvoir.

Jugal Spire (alias Dorje Lhakpa II, 6 563 m)

©Paul Ramsden

Première ascension du Jugal Spire (6 563 m), Jugal Himal, par The Phantom Line (1 300 m, ED) dans la face nord, du 25 au 29 avril. La descente a été effectuée en traversant la montagne et en descendant un terrain précédemment non gravi en versants sud et ouest.

Le Jugal Himal est le massif de haute montagne le plus proche de Katmandou, mais il est peu fréquenté. Désireux de grimper après avoir été freinés par le COVID-19 pendant deux ans, les Britanniques Tim Miller et Paul Ramsden sont arrivés au Népal au début du printemps. Pendant toute la durée de l'expédition, il a plu, grêlé ou neigé au moins une partie de la journée.

Après une approche de quatre jours jusqu’au camp de base, une sortie d'acclimatation sur l'arête ouest du Dorje Lhakpa leur a permis de voir pour la première fois la face nord du pic 6 563 m (appelé plus tard Jugal Spire), une immense étendue de granit très abrupte. À première vue réservée aux grimpeurs de big walls, une inspection minutieuse a montré qu'une ligne de glace raide rayait la face en diagonale depuis le bas à droite. Bien que la majeure partie de cette ligne soit apparue en glace, il y avait un mur rocheux à environ un tiers de la hauteur qui semblait raide et compact.

Après une première journée d'escalade mixte non protégeable et délicate menant à un bivouac confortable, ils ont atteint la raide paroi rocheuse. Surpris, ils ont découvert une série de cheminées cachées derrière une ligne d’écailles qui leur a permis de pratiquer une intense escalade façon écossaise. La nuit suivante, des avalanches de spindrifts ont déchiré la tente et ils ont passé une partie de leur temps debout dans l'obscurité jusqu'à ce que les spindrifts finissent par se calmer. La troisième nuit fut plus agréable, même si la tente n'était plus utilisable en tant que telle, et les deux hommes se sont contentés de se cacher à l'intérieur de la toile. Le quatrième bivouac, près de la sortie des pentes sommitales en glace raide et ardue, se trouvait à l'intérieur d'une grotte naturelle. Le lendemain, après 37 longueurs depuis le bas de la face, ils ont traversé le sommet, descendu en rappel sur des abalakovs en versant sud, puis sont descendus vers l'ouest dans un large goulet pour faire leur dernier bivouac à l'endroit où ils ont rejoint le glacier. Ils ont baptisé l'itinéraire The Phantom Line (« la ligne fantôme ») en raison de la nature éphémère de la glace et de la façon dont l'itinéraire apparaissait et disparaissait sous différentes conditions de lumière lorsqu'il était observé de loin. Ramsden a estimé qu'il s'agissait de l'une des plus belles voies qu'il ait gravies.

Les membres du jury ont estimé qu'il s'agissait d'un exemple parfait d'alpinisme exploratoire ambitieux, réalisé dans un style alpin simple mais efficace : deux sacs, deux cordes, une tente, et pas de jumar, de spits ou de prévisions météorologiques.

Pumari Chhish East (6 850 m)

©Victor Saucède

Première ascension du Pumari Chhish East (Hispar Muztagh), par The Crystal Ship (1 600 m, 6b A2 M7) sur la face sud et l'arête ouest supérieure, du 25 au 29 juin. L'itinéraire a été descendu en rappel.

Depuis 2007, le Pumari Chhish East, la plus basse et probablement la plus difficile techniquement du groupe des Pumari Chhish, au nord du glacier d'Hispar, a fait l'objet de cinq tentatives depuis le versant sud. Pour la sixième tentative connue, les Français Christophe Ogier, Victor Saucède et Jérôme Sullivan ont opté pour le centre gauche des quatre grands piliers rocheux, une ligne envisagée en 2009 par trois Canadiens, qui ont gravi le champ de neige initial avant de se retirer pour cause de maladie.

Les trois alpinistes français ont choisi de s'y prendre tôt, en faisant l'approche en mai pour tenter la face en juin, lorsque le terrain est encore bien gelé. Cependant, il a neigé 26 jours sur les 27 jours d'attente au camp de base, mais ils sont tout de même parvenus à s’acclimater pendant cette période en passant une nuit sur le Rasool Sar (5 980 m). Ils ont ensuite reçu des prévisions météorologiques pour une fenêtre de sept jours, et après avoir laissé la face se débarrasser de la neige récente un jour durant, ils se sont mis en route, gravissant le champ de neige initial de 700 m pendant la nuit.

Sur le pilier de 700 m au-dessus, ils ont employé des techniques de big wall, le leader tirant pendant que les deux seconds montaient au jumar. Ils ont souvent eu recours à l’escalade artificielle pour surmonter les surplombs ou pour enlever les bouchons de neige dans les fissures, mais en général, ils ont grimpé en libre autant que faire se peut dans ces conditions. Les trois premiers bivouacs étaient médiocres, exposés et inconfortables, mais le quatrième jour, ils ont surmonté les difficultés restantes, notamment deux longueurs verticales de 6b à 6 600 m (en chaussons d’escalade), jusqu'à une épaule relativement spacieuse. Le lendemain, ils ont traversé le champignon sommital et étaient au sommet à 10 heures. Après avoir attendu le milieu de l'après-midi à leur dernier bivouac, ils ont commencé à descendre en rappel lorsque le soleil a disparu de la face, atteignant le champ de neige à la tombée de la nuit et le camp de base avancé vers minuit.

Le jury a estimé qu'il s'agissait d'une ligne élégante, un itinéraire intense et plein d'incertitude, sur l'un des grands problèmes non résolus du Pakistan. Ce n'est pas l'option la plus facile de la montagne, mais sa raideur et son niveau de difficulté élevé en font l'une des plus sûres, menant presque directement au sommet. L'ascension a été un effort collectif, témoignant d'un grand esprit d'équipe, conformément à la Charte des Piolets d'Or.

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Mention spéciale 2023 - Première ascension de la face est du Northern Sun Spire (1 527 m, Renland, Groenland oriental)

©Ramona Waldner

Les Piolets d'Or souhaitent promouvoir l'alpinisme féminin, dans le but d'inspirer les futures générations d’alpinistes tout en étant conscients de la difficulté de trouver un mécanisme universellement accepté pour ce faire.

De temps en temps, les Piolets d’Or attribuent une ou plusieurs mentions spéciales. Il ne s'agit pas de Piolets d'Or, mais d'une reconnaissance accordée à une ascension jugée remarquable pour différentes raisons, mais qui correspond aux valeurs fondamentales de la charte.

 

Première ascension de la face est du Northern Sun Spire (1 527 m, Renland, Groenland oriental), par la voie Via Sedna. Le sommet de la face a été atteint le 7 août et la voie a été descendue en rappel.

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Une mention spéciale est attribuée à l'équipe féminine de voile et d'escalade qui a réalisé la première ascension de Via Sedna (780 m d'escalade, 16 longueurs, 7b+ A1) sur le Northern Sun Spire. Parties le 20 juin de La Rochelle en France sur le voilier de 15 m Northabout, la skippeuse Marta Guemes (Espagne) et les équipières Caroline Dehais et Alix Jaekkel (toutes deux Françaises), Maria Sol Massera (Argentine), ainsi que les grimpeuses Capucine Cotteaux (France), Caro North (Suisse), Nadia Royo (Espagne) et la photographe Ramona Waldner (Autriche), ont passé six semaines à négocier le mauvais temps et une banquise difficile avant d'atteindre finalement la côte du Renland. En raison de ces retards, elles n'ont eu que 10 jours pour grimper avant de devoir reprendre la mer.

Cotteaux, North et Royo ont passé deux jours à escalader des terrains escarpés et difficiles et à fixer 300 mètres de corde, la première de cordée ayant parfois recours à l'escalade artificielle tandis que les suivantes grimpaient le plus souvent en libre. Alors qu'il restait un jour et demi avant une tempête de neige annoncée, les trois alpinistes sont remontées sur les cordes, ont ajouté quatre longueurs difficiles, ont passé la nuit dans des portaledges et, le lendemain matin, après six autres longueurs de 6a-6b plus raisonnables, ont atteint l'arête sud supérieure. Du matériel traditionnel a été utilisé tout au long de l'ascension. Le temps qui s'annonçait les a persuadées de ne pas faire l'escalade facile jusqu'au sommet (la partie supérieure de l'itinéraire de la première ascension de 2019), et lorsqu'elles ont regagné la base de la paroi, il pleuvait. Après quatre autres semaines de navigation et un voyage total de 4 000 milles nautiques, elles étaient de retour en France.

Il s'agit non seulement d'une belle aventure menée par un groupe international de femmes autonomes, mais aussi d'une expédition dont l'empreinte carbone est minimale. Elle constitue un exemple représentatif des expéditions à « faible impact ».

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  • Mention Spéciale 2023

    Les Piolets d'Or souhaitent promouvoir l'alpinisme féminin, dans le but d'inspirer les futures générations d’alpinistes tout en étant conscients de la difficulté de trouver un mécanisme universellement accepté pour ce faire.


    De temps en temps, les Piolets d’Or attribuent une ou plusieurs mentions spéciales. Il ne s'agit pas de Piolets d'Or, mais d'une reconnaissance accordée à une ascension jugée remarquable pour différentes raisons, mais qui correspond aux valeurs fondamentales
    de la charte.

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