Piolets d'Or - Jannu (7 710m)

Jannu (7 710m)

©Alan Rousseau

Première ascension de Round Trip Ticket (2 700m, M7 AI5+ A0), une nouvelle voie partielle sur la face nord et l'arête nord-ouest du Jannu, Kangchenjunga Himal, du 7 au 12 octobre.  Descente par le même itinéraire.

Jean Franco, chef de la première expédition à tenter le Jannu (alias Kumbhakarna), a déclaré que la vraie face nord était « l'une des parois les plus hautes de la planète. Personne ne passera jamais par là ». Inévitablement, en 2004, il s'est avéré qu'il avait tort. Cette année-là, une grosse équipe russe a réussi, après leur seconde tentative en deux ans,  ce que le légendaire Suisse Erhard Loretan, qui avait lui aussi déjà fait deux tentatives, a décrit comme « le plus grand défi actuel de l'Himalaya ». Leur ascension a été à la fois exceptionnelle et très controversée. Le déversant mur sommital, qui commence au-dessus de 7 000 m, a été comparé à la face ouest du Dru, et l'équipe a surmonté des difficultés de 5.10d A3+ M6. Cependant, leur style a été largement critiqué : les grimpeurs ont fait le siège de la paroi, passant 50 jours à fixer près de 3 400 m de cordes et en emportant de l'oxygène en cas d'urgence.

En 2021, Jackson Marvell et Alan Rousseau ont installé leur camp de base sur le versant nord du Jannu avec l'intention de répéter la voie russe en style alpin. Cependant, en étudiant la paroi, ils y ont deviné une autre ligne possible, obliquant vers la droite pour atteindre l'arête supérieure nord-ouest à un peu plus de 7 500 m. Ils ont décidé de tenter cette voie, notamment parce qu'ils seraient sur un terrain vierge et qu'ils ne suivraient pas de grandes quantités de vieilles cordes et de points déjà en place. L'arête nord-ouest avait été gravie en 2007 par Valery Babanov et Sergey Kofanov en style alpin, la section finale jusqu'au sommet coïncidant avec la voie française de 1983, qui atteignait ce point par l'éperon sud-ouest. Ce duo avait une bonne vue sur la face nord, ce qui a amené Kofanov à faire le commentaire suivant : « Peut-être qu'un jour une cordée escaladera une voie directe sur la face nord en style alpin, mais ils devront accepter la probabilité qu'il s’agit d’un aller simple ».

Marvell et Rousseau ont atteint 7 200 m, acquérant ainsi une connaissance considérable de l'itinéraire. Ils sont revenus en 2022 avec l'aide de Matt Cornell. Marvell a dû partir plus tôt que prévu et les deux autres n'ont pu atteindre que 6 500 m en raison de vents violents et de températures froides constantes

Les trois hommes sont de retour en 2023, après avoir affiné leur stratégie d'escalade tout en ouvrant Aim for the Bushes (1 525 m, AI6 X M6) sur le mont Dickey, en Alaska, l'une des nouvelles voies les plus importantes gravies en dehors de l'Asie au cours de l'année. Le 7 octobre, ils quittent le camp de base avec un nouveau système de couchage très léger pour trois personnes, comprenant deux portaledges gonflables G7 POD. Ils bénéficient également d'une prévision de sept jours de beau temps.

En grimpant à travers le ressaut rocheux initial, puis sur une cascade de glace de 300 m, ils progressent par un système de rampe raide de 1 100 m, sur un terrain alpin difficile de neige, glace et mixte, pour arriver dans l'après-midi du 9 à environ 7 100 m, juste en dessous de leur point culminant de 2021.

Au-dessus de 7 200 m, ils obliquent vers la droite sur un terrain vierge, dans la section la plus raide de la paroi et atteignent un bivouac suspendu à 7 300 m. Le matin du 11, ils surmontent le passage-clé, une fine couche de glace plus ou moins verticale suivie d'une escalade mixte délicate. Ils bivouaquent une longueur sous l'arête nord-ouest à 7 500m. Le lendemain, ils terminent la voie française de 1983 et atteignent le sommet en fin d'après-midi.  Ils regagnent leurs portaledges à 23h, et le 13, descendent en rappel dans leur voie, principalement sur des Abalakovs, et arrivent au camp de base vers minuit.

Marvell et Rousseau savent que plusieurs de leurs doigts sont gelés. En discutant des options possibles le lendemain, ils réalisent que marcher dans la jungle pendant cinq jours, puis trois jours de route supplémentaires pour atteindre Katmandou, présenterait un risque important d'infection. Des amis américains leur ont également indiqué qu'une clinique de Katmandou proposait un traitement par voie intraveineuse qui, s'il était administré dans les 72 heures, pourrait réparer certaines des blessures. Ils choisissent donc d'appeler un hélicoptère. Le traitement administré par la suite a finalement limité les dommages à la perte de l'extrémité d'un petit doigt pour les deux alpinistes.

Le jury a été unanime : il s'agit d'une ascension extraordinaire qui porte l'escalade technique en style alpin à haute-altitude à un nouveau niveau. La combinaison d'un partenariat exemplaire entre des grimpeurs expérimentés et dotés de grandes capacités techniques et d'une stratégie visionnaire, ainsi que l'évolution de l'équipement, ont ouvert un nouveau chapitre dans l'histoire des ascensions himalayennes et seront une source d'inspiration pour les générations futures.

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