Reinhold Messner est connu pour être le premier homme à avoir gravi les 14 sommets de plus de 8000 mètres. Incontournable, ce haut fait n’en est pas moins réducteur. Pas seulement parce que Reinhold Messner a en fait gravi 18 « huit mille », mais bien parce qu’à plusieurs reprises il a transgressé les règles communément admises, et effectué de véritables sauts dans l’inconnu.
Le jeune Messner a d’abord défrayé la chronique dans ses Dolomites natales. L’histoire a retenu qu’en 1968, il ouvre avec son frère Gunther au Sass dla Crusc (aussi appelé Heiligkreuzkofel) une voie de 550 m où fut gravi pour la première fois un passage de VIII, soit 7a dans le système de cotations français. L’année suivante, il étonne le monde de l’alpinisme en réussissant en solo les deux voies les plus dures de l’époque, en rocher et en glace : le dièdre Philipp-Flamm de la Civetta, et la face nord des Droites, dont c’était la quatrième ascension. Cette dernière, exécutée en 8h30, n’avait jamais été réussie avec moins de deux bivouacs.
En 1970, il participe à une expédition au versant Rupal du Nanga Parbat (8125 m), un des plus gros problèmes de l’Himalaya. Au sommet avec son frère, sans corde, ils décident de descendre par le versant Diamir. Gunther disparaît dans une avalanche au bas de la face. Reinhold réussit à rejoindre la vallée, au terme d’une incroyable odyssée. A la face sud-ouest du Manaslu, en 1972, il touche le sommet à nouveau en solitaire. En 1975, il participe à l’expédition de Riccardo Cassin à la face sud du Lhotse. Malgré une forte équipe, c’est l’échec. Reinhold songe déjà à l’étape suivante : affronter les 8000 à deux, en style alpin. Il a trouvé le compagnon idéal : Peter Habeler. Ensemble, les deux hommes ont fait la preuve de leur rapidité et leur maîtrise, notamment à la face nord de l’Eiger, gravie en 10 heures en 1974. C’est le record de l’époque. Quelques semaines après l’échec du Lhotse, il ouvre avec Peter une voie au Gasherbrum 1 (8068 m). L’ère du style alpin sur les plus hautes montagnes de la Terre est ouverte. En 1978, Reinhold ouvre une voie en solo sur le versant Diamir du Nanga Parbat, et la même année, réussit avec Peter Habeler la première de l’Everest sans apport artificiel d’oxygène. La plupart des scientifiques pensaient l’entreprise très risquée. L’altitude de l’Everest est en effet à la limite de ce qui semble humainement possible.
Suivront d’autres performances, comme l’ouverture d’une voie en solo sur le versant nord de l’Everest en 1980, durant la mousson. En 1982, Messner ouvre une voie difficile au Kanchenjunga avec Friedl Mutschlechner. En 1984, un nouveau pas est franchi avec le premier enchaînement de deux 8000, Gasherbrum 2 (8035m) et Gasherbrum 1 (8068m), avec Hans Kammerlander. Les deux hommes signent à nouveau ensemble une ouverture à la face ouest de l’Annapurna en 1985. En 1986, ils forment la même cordée alors que Reinhold boucle ses 14 « huit mille ». Entre temps, il aura mené des tentatives novatrices comme la face sud du Makalu ou une hivernale de la face sud-ouest du Cho Oyu.
Désormais entré dans la légende, adulé ou décrié, Reinhold se tourne alors vers l’aventure et l’exploration (Tibet, Bhoutan, Pamir, Désert de Gobi, Groenland, Antarctique, Georgie du sud …). Il s’engage pour la défense de l’environnement, cause qu’il va épouser jusqu’à être élu au Parlement Européen en 1995. A la fin de son mandat, il se lance dans la réalisation de 5 musées dédiés à la montagne, les Messner Mountain Museums. Il s’est aussi engagé dans la construction d’une école dans la vallée de Diamir, au pied du Nanga Parbat, par le biais de sa fondation.
Au début des années 70, encore jeune grimpeur tout juste échappé des Dolomites, Reinhold Messner avait publié un ouvrage prémonitoire « Le septième degré ». Ce livre contenait les germes qui préfiguraient les incroyables progrès qui allaient toucher l’activité. A l’image de ce livre inspiré, la trace que Messner a laissée sur l’alpinisme et bien celle d’un visionnaire.